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MÉMOIRES


DE SAINT-SIMON.




chapitre premier.


1691. et comment ces Mémoires commencés. Ma première liaison avec M. le duc de Chartres. Maupertuis, capitaine des mousquetaires gris[1] ; sa fortune et son caractère. 1692. Ma première campagne, mousquetaire gris. Siège de Namur par le roi en personne. Reddition de Namur. Solitude de Marlaigne. Poudre cachée par les jésuites. Bataille navale de la Hogue. Danger de badiner avec des armes. Coetquen et sa mort.


Je suis la nuit du 15 au 16 janvier 1675, de Claude, duc de Saint-Simon, pair de France, et de sa seconde femme Charlotte de L’Aubépine, unique de ce lit. De Diane de Budos, première femme de mon père, il avoit eu une seule fille et point de garçon. Il l’avoit mariée au duc de Brissac, pair de France, frère unique de la duchesse de Villeroy. Elle étoit morte en 1684, sans enfants, depuis longtemps séparée d’un mari qui ne la méritoit pas, et par son testament m’avoit fait son légataire universel.

Je portois le nom de vidame[2] de Chartres, et je fus élevé avec un grand soin et une grande application. Ma mère, qui avoit beaucoup de vertu et infiniment d’esprit de suite et de sens, se donna des soins continuels à me former le corps et l’esprit. Elle craignit pour moi le sort des jeunes gens qui se croient leur fortune faite et qui se trouvent leurs maîtres de bonne heure. Mon père, en 1606, ne pouvoit vivre assez pour me parer ce malheur, et ma mère me répétoit sans cesse la nécessité pressante se trouveroit de valoir quelque chose un jeune homme entrant seul dans le monde, de son chef, fils d’un favori de Louis XIII, dont tous les amis étoient morts ou hors d’état de l’aider, et d’une mère qui, dès sa jeunesse, élevée chez la vieille duchesse d’Angoulême, sa parente, grand’mère maternelle du duc de Guise, et mariée à un vieillard, n’avoit jamais vu que leurs vieux amis et amies, et n’avoit pu s’en faire de son âge. Elle ajoutoit le défaut de tous proches, oncles, tantes, cou-

  1. Il y avait deux compagnies de mousquetaires dans la maison du roi : les mousquetaires noirs et les mousquetaires gris, qui tiraient leur nom de la couleur de leurs chevaux.
  2. Les vidames étaient des seigneurs qui tenaient des terres d’un évêché, à condition de défendre le temporel de l’évêque et de commander ses troupes. Il y avait quatre principaux vidames dans l’ancienne France : ceux de Laon, d’Amiens, du Mans et de Chartres.